Le pH rend compte de la concentration en protons (particules élémentaires positives) dans le sol. Cette propriété joue un rôle fondamental sur son fonctionnement et sur la croissance de la plante : lorsque le pH est mal ajusté, le sol se dégrade, sa fertilité est moindre, les éléments minéraux sont moins disponibles, des toxicités apparaissent, le développement de la plante est plus difficile, et elle devient plus sensible aux maladies. Dans ces conditions, bien contrôler l’acidité du sol est primordial. Se posent alors plusieurs questions : Comment la mesurer ? À quelle fréquence ? Quels indicateurs considérer ? Comment en tenir compte pour bien ajuster les pratiques d'apport d'amendement basique ? Quels produits choisir en fonction des situations ? Quelle quantité apporter ?
Ce sont autant de questions auxquelles cet article apporte une réponse. Nous nous placerons ici dans la configuration de sol plutôt acide. Les sols alcalins ont un fonctionnement spécifique pour lequel les pratiques sont différentes : nous traiterons de ce sujet dans un prochain article.
I. L'ACIDIFICATION DU SOL : UN PHÉNOMÈNE NATUREL
A. Des causes multiples
La plupart des causes sont majoritairement naturelles. Le phénomène d’acidification peut aussi être engendré par un déséquilibre dans le choix des fertilisants utilisés. Voici une liste des principales causes :
La lixiviation des nitrates,
Le fonctionnement de la vie du sol et la minéralisation de la matière organique,
L'excrétion de H+ au niveau de la rhizosphère dans le cadre du fonctionnement racinaire des plantes (légumineuses notamment),
La nitrification de l’azote du sol,
La volatilisation de l’azote ammoniacal,
Ou encore, la prédominance d’une fertilisation minérale plutôt acidifiante.
B. Des conséquences négatives sur le sol
L’acidification du sol engendre des problèmes à plusieurs niveaux. Toutes les conséquences suivantes contribuent à diminuer sa fertilité et à limiter la croissance de la plante, voire la rendre sensible au développement des maladies et à l’attaque des ravageurs :
La décalcification du sol par lixiviation du calcium,
La déstructuration du complexe argile-humique,
La diminution de la stabilité structurale du sol,
Le risque de toxicité aluminique (préjudiciable pour la croissance des plantes) augmenté en dessous d’un pH de 5,5,
Le risque de carence en molybdène.
C. Les facteurs d'amplification du phénomène
Plusieurs facteurs peuvent accentuer le phénomène d’acidification du sol, comme :
Le drainage -> il favorise la lixiviation des éléments minéraux,
Une fertilisation azotée excédentaire -> elle apporte une grande quantité d'ions H+ dans le sol,
Des rendements élevés -> les quantités d’éléments exportées sont alors plus importantes,
L'exportation des pailles -> les éléments minéraux sont là aussi exportés du sol,
Une prédominance de légumineuses dans la rotation -> Le fonctionnement symbiotique des racines contribue à augmenter la concentration d’ions H+ dans le sol,
Une pluviométrie importante -> Comme le drainage, elle accroît la lixiviation des éléments chimiques.
D. Les facteurs d'atténuation
Heureusement, plusieurs pratiques permettent de freiner voire inverser le processus d’acidification:
Une fertilisation azotée bien gérée -> les excès d’ions H+ sont alors limités,
La mise en place de cultures intermédiaires -> leur action racinaire limite la lixiviation des éléments minéraux,
L’apport régulier d’amendements organiques -> ils ont très majoritairement un pH alcalin. Ils contribuent donc à apporter des ions OH- qui vont neutraliser les ions H+ et augmenter le pH,
L’apport régulier d’amendements basiques -> Au même titre que les amendements organiques, ils permettent d’apporter des bases puissantes qui vont fixer les ions H+ et faire remonter le pH.
II. ACIDITÉ DU SOL, INDICATEURS, MESURE ET VALEURS
A. L'analyse de sol, l'outil indispensable
L'acidité du sol est un paramètre dynamique dans le temps et dans l’espace. Pour connaître son état, l’analyse de sol est l’outil adéquat indispensable. Pour sa réalisation, il est recommandé de suivre plusieurs règles :
Effectuer les prélèvements de terre de préférence pendant l’interculture, avant toute opération culturale (notamment fertilisation),
Tenir compte de l’hétérogénéité spatiale (comme dans l'exemple ci-contre) : pour des parcelles hétérogènes, il sera judicieux de réaliser une analyse de sol par secteur identifié,
Pour constituer l’échantillon de sol, effectuer une quinzaine de prélèvements avec une tarière soit au sein d’un cercle de 20 m de rayon, soit suivant une ligne droite. Le prélèvement sera réalisé sur la profondeur de la zone de sol cultivée,
Renouveler son analyse de sol tous les 3 à 5 ans pour ajuster les pratiques en conséquence.
B. Le pH et la capacité d’échange cationique (CEC), principaux indicateurs
1. Le pH du sol
Pour cet indicateur, l’analyse de sol fournit deux types des renseignements complémentaires :
a. Le pH KCl
Il est inférieur au pH eau. Il rend compte de la limite d’acidification maximum du sol : plus il est bas, plus le sol aura tendance à s’acidifier, plus il sera alors nécessaire d’être vigilant et de réaliser des apports d’amendements basiques réguliers.
b. pH eau
Il rend compte du pH du sol au moment du prélèvement. Comme le montre le graphique ci-contre, Il varie sensiblement au cours de l’année (de 0,5 à 1 point) : dans ces circonstances, sa valeur dépendra du moment où le prélèvement de l’échantillon de terre est effectué.
Pour la grande majorité des cultures, la valeur du pH eau est idéale entre 6,2 et 6,8. Elle pourra être un peu plus élevée pour les légumineuses ou pour des cultures comme la betterave.
La variation importante du pH eau au cours de l’année en fait un indicateur peu fiable pour décider précisément des pratiques d’apport d’amendements basiques. Heureusement, l’analyse de sol fournit un second indicateur intéressant : la capacité d'échange cationique (CEC).
2. La CEC du sol
Elle est calculée suivant la méthode Metson. Elle correspond, comme son nom l’indique, à la capacité du sol à fixer les cations et à permettre les échanges. Elle est remplie très majoritairement par les ions calcium, magnésium, potassium, sodium et hydrogène. Elle se mesure en meq/100 g ou cmol/kg (certains laboratoires la donne en meq/kg, la valeur est alors 10 fois plus grande).
L’analyse de sol fournit 3 types d’informations complémentaires pour cet indicateur :
a. La taille de la CEC : sa valeur rend compte de la quantité de charges négatives, portée essentiellement par le complexe argilo-humique, capables de fixer les cations. En conséquence, elle sera sera d’autant plus grande que le sol contient de l’argile et de la matière organique.
b. Son taux de saturation : c’est la part cumulée des ions calcium, magnésium, potassium et sodium sur l’ensemble du volume de la CEC.
c. La distribution respective de chaque ion principal sur la CEC, exprimée en %.
La CEC présente plusieurs avantages :
a. Elle est statistiquement corrélée au pH.
b. Elle est plus stable dans le temps (voir graphique ci-dessus).
En conséquence, elle est plus fiable que le pH pour décider des quantités d’amendements basiques à apporter. À l’exception des situations d’une CEC < 5 meq/100 g (pour lesquelles la correction de l’acidité se fera sur la base du pH), c’est le meilleur indicateur pour adapter ses pratiques d'amendement.
En grandes cultures, les apports auront pour objectif de conduire à un taux de saturation de la CEC de 85-90%. La Nature étant bien faite, le pH aura, en règle générale, une valeur idéale entre 6,2 et 6,8 pendant la campagne !
III. COMMENT BIEN GÉRER L'ACIDITÉ DU SOL
A. Les différentes situations à gérer
Trois situations différentes sont à distinguer :
1. Situation d’entretien : Le taux de remplissage de la CEC est alors entre 80 et 85%. Dans la pratique, en début de campagne, un apport de 250 à 350 valeur neutralisante/ha de produit à action prolongée sera alors suffisant dans la majorité des cas.
2. Situation de correction légère : Elle correspond à un taux de remplissage de la CEC de 70-80%. Il est alors pertinent d’utiliser plutôt des produits ayant une vitesse d’action moyenne dans le temps (ex : dolomie, carbonate de calcium,…).
3. Situation d’urgence : Le taux de saturation de la CEC inférieur à 65%. Il est alors préférable d’utiliser des produits à action rapide (chaux vive ou magnésienne).
Ce type de situation est normalement exceptionnel si la gestion de l'acidité du sol est bonne.
L'utilisation des formules fournies du chapitre IV. E permettra de calculer les quantités à apporter pour obtenir une saturation optimale de la CEC.
B. Les bonnes pratiques à suivre
Pour bien maîtriser l'acidité du sol dans le temps, 4 règles sont importantes :
Renouveler une analyse de sol régulièrement (tous les 3 à 5 ans) pour une parcelle donnée,
Adapter le choix de l'amendement basique au regard de la situation rencontrée. À ce titre, le logigramme de la partie III. D pourra être utilisé pour aider à identifier les produits les plus adéquats,
Déterminer les besoins en amendement basique à partir des résultats de l’analyse de sol et des formules de la partie IV. E,
Moduler la fréquence des apports en fonction du pouvoir tampon du sol : par exemple, dans les sols sableux, un apport annuel sera systématique.
C. L'intérêt de bien équilibrer la composition de la CEC, notamment le curseur en calcium et magnésium
Au-delà de la recherche d’un taux de saturation de la CEC idéal (entre 85 et 90%), l’apport d’amendements basiques doit aussi permettre de bien ajuster le curseur calcium-magnésium pour un fonctionnement du sol optimal. En effet, comme le montre l’infographie ci-contre, les propriétés des principaux cations de la CEC sont différentes. Or, sa composition a une influence sur le comportement du sol, notamment celui des argiles : en fonction de la répartition des cations, les argiles seront plus ou moins lâches ou cohésives, la dynamique des flux d’air et la gestion de l’eau s'en trouveront modifiées.
Les travaux de William ALBRECHT ont permis d’identifier une répartition idéale des cations de la CEC.
Le curseur entre calcium et magnésium dépend de la taille de la CEC (voir tableau ci-contre) : la proportion en calcium sera d’autant plus grande que le sol contient d’argiles, et inversement pour le magnésium. Dans tous les cas, la part ajoutée de ces deux ions est de 80%.
IV. COMMENT BIEN DÉCIDER DES AMENDEMENTS BASIQUES À UTILISER ET DES QUANTITÉS À APPORTER
Les amendements basiques sont constitués d’un anion basique et d’un cation (Ca ++ ou Mg ++). Ex : CaO, CaCO3, MgCO3, Ca(OH)2,… Ils ont des effets favorables tant au niveau du sol que de la plante.
A. L'apport d'amendement basique, une pratique positive pour le sol et pour la plante
1. Une fertilité du sol stimulée...
Les effets interviennent à plusieurs niveaux :
Redressement du pH,
Restructuration du complexe argile-humique par floculation de l’argile et de la matière organique,
Amélioration de la saturation de la CEC et des échanges entre le sol et la plante,
Suppression de toxicité aluminique,
Meilleure concentration de la solution du sol,
Amélioration de la structure du sol,
Limitation de l’érosion du sol,
Une vie du sol plus soutenue.
2. ... Et une croissance de plante soutenue
L'amélioration de l'environnement du sol engendre, dans un second temps, des effets positifs au niveau de la plante :
Meilleure levée de la culture,
Meilleur développement racinaire et aérien,
Processus de nutrition de la plante performant,
Amélioration de la fixation symbiotique de l’azote pour les légumineuses.
B. Plusieurs critères à prendre en compte pour le choix des amendements basiques
Plusieurs critères doivent être pris en compte pour orienter le choix des amendements :
La teneur en calcium et en magnésium,
La valeur neutralisante : elle est liée à la teneur en calcium et magnésium. Elle exprime la capacité d’un produit à neutraliser l’acidité du sol. Par exemple, elle est aux alentours de 54 pour la dolomie et de 90 pour de la chaux vive,
La finesse du produit : ce critère rend compte de la finesse des particules du produit utilisé. Plus un produit est fin, plus il a la capacité à se dissoudre dans l’eau et à neutraliser l’acidité rapidement,
L’indice de positionnement agronomique : cet indicateur, crée par UNIFA, rend compte de la capacité d’un produit à agir vite. Il est bien sûr dépendant de la nature et de la finesse du produit.
C. Des amendements basiques de différentes origines
Le tableau ci-contre présente les différentes types de produits :
Les produits tels que la chaux ou le calcaire pulvérisé sont à réserver à des situations d’urgence quand le délai court avant l’implantation de la culture suivante. Dans les autres cas, il est préférable d’apporter des produits plus grossiers dont l’action est plus prolongée dans le temps.
D. La démarche à suivre pour bien choisir ses amendements
Le logigramme suivant illustre la démarche pour orienter le choix de l'amendement basique. Au regard des résultats de l'analyse de sol, trois questions se posent successivement :
Mon sol a-t-il besoin de calcium supplémentaire ?
A-t-il besoin de plus de magnésium ?
A-t-il aussi besoin de potassium ?
Pour le logigramme ci-contre, le terme "taux objectif" correspond à la teneur en calcium ou en magnésium mentionnée dans le tableau de la partie III. C, indiquant l'équilibre idéal entre les deux éléments pour un fonctionnement du sol optimal.
E. Savoir calculer les quantités à apporter
Pour déterminer les besoins en bases par hectare, la formule de calcul est différente en fonction de la dimension de la CEC du sol : la valeur pivot est 5 meq/100.
Pour les situations où la CEC est supérieure à cette valeur, la formule de calcul permet aussi de connaître les besoins précis en calcium et en magnésium nécessaires pour correspondre à la valeur idéale identifiée par les travaux de W. ALBRECHT (voir tableau du chapitre III. C).
L'ensemble de ces éléments doit permettre à chacun d'améliorer ses pratiques. À ce titre, il est important de procéder le plus rigoureusement possible.
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A bientôt !
Raphaël de TERREOM
Liens utiles :
UNIFA - Diaporama - Ce qu'il faut savoir sur les amendements minéraux basiques https://ipa-chaulage.info/images/fichiers/Unifa_ppt_formation_AMB_2018-03.ppsx
Chambre d'Agriculture de Bretagne - Dossier - Chaulage : retour sur les fondamentaux http://www.bretagne.synagri.com/ca1/PJ.nsf/TECHPJPARCLEF/22166/$File/Chaulage,%20retour%20sur%20les%20fondamentaux.pdf?OpenElement
BUCAILLE Francis - Revitaliser le sol https://www.cnra-france.org/francis-bucaille-revitaliser-les-sols/
AUREA - WikiAuréa - Le chaulage - https://wiki.aurea.eu/index.php?title=Chaulage
UNIFA - Outil de calcul des besoins en bases - https://ipa-chaulage.info/index.php/le-raisonnement-du-chaulage-et-calcul-des-besoins#logiciel
COMIFER - Le chaulage, des bases pour le raisonner - https://comifer.asso.fr/images/publications/brochures/brochure_chaulage%20maj%202012_chaulage%20lt.pdf
https://www.univ-mosta.dz/fsnv